Proposition de loi du 1er avril 2025, dite « loi HUWART », une loi de « simplification du droit de l’urbanisme » … en apparence seulement ?

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Article par Ugo Ivanova

17 avril 2025

Analyse et point de vue sur la proposition de loi n° 1240 du 1er avril 2025

Si le raccourci est trop pentu
Mieux vaut conserver le chemin convenu

La chose est connue : le droit de l’urbanisme est trop complexe et cette complexité s’oppose au bon développement du territoire. On ne compte plus les lois et décrets qui se sont succédé ces dernières décennies pour lutter contre « ce fléau » de la complexité – Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 dite « loi ALUR », loi du 23 novembre 2018 dite « loi ELAN » …


L’année 2025 n’échappe pas à cette règle et elle aura donc droit à son propre cru de « décompléxification » du droit de l’urbanisme au travers de la proposition de loi dite « HUWART ».


🛑Un mot d’ordre : raccourcir🛑.


Raccourcir les évolutions des documents d’urbanisme, raccourcir les délais pour contester des autorisations d’urbanisme, raccourcir les délais de production de logements sociaux et raccourcir le périmètre d’application des documents d’urbanisme par l’avènement des dérogations aux règles considérées comme trop strictes.


Si la méthode du raccourci préfigure cette loi, la marotte, elle, ne change pas : Le droit de l’urbanisme et les contentieux afférents ne doivent être qu’au service du développement et de l’aménagement durable des territoires et que de cela.


Le développement et l’aménagement durable des territoires peuvent-ils toutefois justifier toutes les propositions même si ces dernières peuvent engendrer une atteinte à une bonne participation du public et au droit de disposer d’un recours effectif devant les tribunaux ?


Deux éléments méritent d’être précisés tant leurs avènements marqueraient, de notre point de vue, un recul démocratique et une contre-productivité sans précédent.

La première d’entre elles porte sur l’évolution des documents d’urbanisme. L’exposé des motifs de la loi note à ce titre « qu’au premier rang des difficultés relevées par les collectivités territoriales et les porteurs de projets figure les lourdeurs liées à l’élaboration et à l’évolution des documents de planification en matière d’urbanisme : les plans locaux d’urbanisme et les schémas de cohérence territoriale. Ces procédures sont difficilement lisibles pour les élus locaux : à titre d’exemple, il existe aujourd’hui quatre procédures distinctes d’évolution des plans locaux d’urbanisme, applicables selon les modifications qui y sont apportées ».


L’objectif de « faciliter les procédures d’urbanisme », mentionné dans l’article 1er de la proposition de loi, se traduit, notamment, par l’élargissement des cas dans lesquels la procédure de modification simplifiée s’appliquera, en augmentant « de 20% à 50% le seuil de majoration de construction au-delà duquel une procédure de modification doit être mise en place ».


Aller vite donc, toujours plus vite, pour « refaire la ville sur la ville ».


👮‍♂️Or, comme la fin ne justifie pas les moyens, aller vite ne justifie pas tous les reniements.


La procédure de modification simplifiée, d’une durée effectivement plus courte qu’une procédure de modification dite « de droit commun », se différencie principalement de la seconde par l’absence d’enquête publique.


Une simple mise à disposition du public est alors effectuée, cette dernière étant bien moins contraignante et bien moins pesante qu’une enquête publique, laquelle nécessite de saisir le Président du Tribunal administratif afin que soit désigné un commissaire enquêteur.


La relation demeure donc bipartite et naturellement déséquilibrée : d’un côté la collectivité et de l’autre les administrés qui ne peuvent que « prendre note » des modifications proposées.


L’enquête publique, quant-à-elle, est une forme de participation qui permet au public de s’informer sur le projet et de formuler des observations auprès d’un tiers indépendant : le commissaire enquêteur.


Plus encore que la forme tripartite dont le tiers est indépendant et impartial, l’enquête publique est surtout un formidable outil démocratique en ce que le maître d’ouvrage – la collectivité – est obligé de tenir compte des observations du publics, ce qui n’est pas le cas dans le cadre d’une simple mise à disposition du public.


C’est d’ailleurs la raison pour laquelle une simple mise à disposition du public est cantonnée aux procédures de modifications simplifiées, car les modifications sont minimes et sans grands impacts sur les droits des administrés.

En souhaitant augmenter le recours à cette forme expresse de procédure, et donc en généralisant la mise à disposition du public au détriment des enquêtes publics, la proposition de loi affiche clairement sa volonté de s’affranchir d’un commissaire enquêteur trop encombrant et impartial dans l’objectif, encore une fois, de faciliter le développement et l’aménagement du territoire.


Espérons que les discussions à venir à l’assemblée générale et au Sénat viennent rectifier cette proposition afin que le public n’en soit pas le grand perdant.


Il l’est d’autant plus à l’aune de la principale évolution proposée, cette dernière revenant sur une règle figée depuis plus de 50 ans : le délai de recours de deux mois pour contester une autorisation d’urbanisme (Article R. 600-2 du Code de l’urbanisme).
La proposition de loi « HUWART », dont l’objectif affiché est « d’accélérer le traitement des affaires contentieuses en matière d’urbanisme », vise à ce titre à réduire le délai pour contester une autorisation d’urbanisme, le faisant passer de deux mois à un mois seulement, et met également fin au caractère suspensif du recours gracieux, ce dernier n’emportant plus prorogation du délai pour saisir le juge.


Exit donc les recours gracieux.


L’incrédulité qui nous saisit face à une telle proposition est, à n’en pas douter, partagée par l’ensemble des praticiens du droit de l’urbanisme.


L’on en vient même à se demander si les auteurs de la proposition de loi ont pris la peine de prendre conseil auprès de professionnels du droit tant la proposition est farfelue.


Elle l’est tout d’abord par son effet totalement contreproductif qui en résultera : Si l’objectif affiché est d’accélérer le traitement des affaires contentieuses, c’est un engorgement supplémentaire des Tribunaux qui en émanera.


En effet, et reprenant le droit actuel, un tiers qui souhaite contester une autorisation d’urbanisme peut former un recours gracieux auprès de l’autorité administrative compétente dans un délai de deux mois suivant l’affichage sur le terrain de l’autorisation d’urbanisme. La collectivité dispose alors d’un délai de deux mois pour répondre – favorablement ou non – à ce recours. Le tiers dispose alors, si la décision est défavorable, d’un nouveau délai de deux mois pour saisir le Tribunal administratif compétent.


🔎Ce sont donc 6 mois pendant lesquels des arguments sont proposés, des réponses apportées, des clarifications soufflées, des précisions adoptées. Ce sont 6 mois pendant lesquels le tiers peut affiner et sous-peser sa décision de saisir le Tribunal administratif d’un recours en excès de pouvoir, ce recours étant alors souhaité et fondé sur des éléments sérieux.


Ce sont également 6 mois qui permettent éventuellement d’obtenir, avant toute saisine juridictionnelle, gain de cause ou d’engager des négociations amiables avec le porteur de projet.


La proposition de loi supprime tout cela en consacrant un seul et unique délai d’un mois pour saisir le Tribunal administratif et en supprimant – en prime – l’effet suspensif du recours gracieux.


Quelle en sera, à n’en pas douter, la principale conséquence ? L’introduction tous azimuts de recours plus ou moins fondés, ou pas fondés du tout, devant les Tribunaux administratif dans l’unique objectif de cristalliser les délais de recours.


La logique est donc tout simplement complètement renversé : l’analyse du dossier – à concevoir même que le dossier de permis soit communiqué dans les délais – l’opportunité des moyens d’annulation et la stratégie d’attaque ne se fera plus a priori mais a posteriori, lorsque le juge sera d’ores et déjà saisi.


En résultera également à coup sur une augmentation exponentielle des jugements de désistement, lesquels encombreront encore plus des juridictions déjà exsangues par manque de moyens.


C’est donc tout l’inverse d’une simplification et d’un raccourcicement qui en ressortira, les tribunaux se retrouveront gorgés de recours dont l’unique objectif sera de sécuriser un délai trop court pour appréhender sereinement des dossiers de permis parfois lourds et nécessitant des heures de travail.


Le droit des citoyens à disposer d’un recours effectif est également en jeux puisque, compte-tenu de ce nouveau délai proposé, de très nombreux administrés n’auront pas le temps de se faire assister par un avocat spécialisé et se retrouveront alors, confrontés au parcours du combattant que représente la recevabilité des requêtes, sous l’épée de Damoclès d’une irrecevabilité soulevée d’office par le Tribunal.


Les débats à venir sur cette proposition de loi s’avèrent donc cruciaux afin d’éviter que la vitesse n’emporte tout avec elle.

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