Commentaire de la décision du Conseil Constitutionnel du 5 mars 2025, n° 2024-1126
Le progrès fend les monts, rugit, se croit lumière,
Et foule, aveugle et fier, l’ombre d’une lisière
Il ne fait manifestement pas bon, en ce début d’année 2025, d’être un Sciurus vulgaris ou un Arvicola Sapidus (Arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l’ensemble du territoire).
Alors que le Sénat vient d’adopter en première lecture la proposition de loi TRACE (Voir l’article sur site IB Avocats à ce sujet), laquelle – en synthèse – revient sur les principaux objectifs de la loi ZAN de 2021 et permets donc de continuer à grignoter de plus en plus de zones naturelles, forestières et agricoles – zones privilégiées des espèces protégées – c’est donc au tour du Conseil Constitutionnel, peut être sous l’impulsion de son nouveau Président « marcheur » – Monsieur Richard FERRAND – de stopper les efforts faits ces dernières années pour lutter contre l’atteinte aux espèces protégées et à leurs habitats.
Ces dernières années étaient en effet marquées par une volonté affichée des tribunaux Français d’appliquer le plus strictement possible les dispositions de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement, duquel résulte la délivrance des dérogations aux interdictions de porter atteinte aux espèces protégées (Voir, pour exemple, Cour administrative d’appel de Nancy, 11 avril 2024, n° 21NC00030 ou encore Cour administrative d’appel de Lyon, 23 novembre 2023, n° 21LY03312).
Pour rappel, si le principe en droit Français et européen est l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées et à leurs habitats – dont la liste est fixée par plusieurs décrets – demeure toutefois la possibilité, sous réserve de montrer « patte blanche », d’obtenir l’accord de la Préfecture pour déroger à cette interdiction.
👌Le principe est donc l’interdiction, l’exception la dérogation.
La patte blanche s’obtient par la réunion de trois conditions cumulatives : 🥇Il ne doit pas y voir de solution alternative satisfaisante – 🥈Il ne doit pas en résulter une nuisance quant au « maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle » – 🥉et le projet conduisant à cette destruction doit servir à des motifs limitativement énumérés par la loi, dont notamment à des raisons impératives d’intérêt public majeur (RIIPM).
Le modus operandi était donc connu, encadré et favorable à une préservation accrue des espèces protégées : l’opérateur économique – privé ou public – devait démontrer la réunion de ces conditions pour obtenir la dérogation d’atteinte aux espèces, ce qui signifiait qu’au stade où la raison impérative d’intérêt public était invoquée et reconnue, le projet était définitif et l’administré ayant l’intérêt à agir pour ce faire pouvait donc contester, devant le Tribunal administratif, la légalité de la dérogation accordée.
Ce recours s’appuyant alors sur un projet aux contours précisés et aux détours maîtrisés (pour un exemple de recours à l’encontre d’une RIIPM, voir Tribunal administratif de Toulouse, 27 février 2025, n° 2303544, 2304976 et 2305322).
Ce modus operandi bien huilé s’est retrouvé grippé par la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023, laquelle prévoyait, notamment, une procédure exceptionnelle pour permettre plus facilement de mettre en œuvre des projets industriels d’intérêt national majeur.
Faisait ainsi partie de cette procédure exceptionnelle – outre l’accélération des procédures de mise en compatibilité avec les documents locaux d’urbanisme – la reconnaissance d’une présomption de raison impérative d’intérêt public majeur pour ces projets.
🔎L’objectif de la loi était donc de permettre de fixer par voie législative ou réglementaires certains cas de présomption de RIIPM afin d’éviter à ce que l’opérateur économique n’ait à se soucier de cette justification dans le cadre de sa demande de dérogation à l’interdiction de porter atteinte aux espèces.
L’article L. 411-2-1 du Code de l’environnement, qui résulte de cette loi, indique donc aujourd’hui que :
« Le décret, prévu au I de l’article L. 300-6-2 du code de l’urbanisme, qualifiant un projet industriel de projet d’intérêt national majeur pour la transition écologique ou la souveraineté nationale peut lui reconnaître le caractère de projet répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c du 4 ° du I de l’article L. 411-2 du présent code. Cette reconnaissance ne peut être contestée qu’à l’occasion d’un recours dirigé contre le décret, dont elle est divisible. Elle ne peut être contestée à l’appui d’un recours dirigé contre l’acte accordant la dérogation prévue au même c ».
Comme le soutenait l’association « Préservons la forêt des Colettes » dans le cadre de son action en Question prioritaire de constitutionnalité adressée au Conseil d’Etat – dont la décision du Conseil Constitutionnel commentée émane – « en prévoyant que la contestation de cette reconnaissance ne peut intervenir qu’au stade de l’édiction du décret qualifiant un projet d’intérêt national majeur, ces dispositions ne permettraient pas au juge d’exercer son contrôle en tenant compte des caractéristiques concrètes du projet ».
🛑Car c’est effectivement et précisément de cela dont il s’agit : Renverser totalement le modus operandi primitif pour lui préférer comme principe la présomption de RIIPM, et donc la présomption d’une dérogation, et comme exception l’annulation de cette présomption par un recours contre le décret en cause…
Argument fort opérant pour les juristes comme pour les Hommes de cœurs, notamment au regard de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais manifestement peu convaincant pour le Conseil Constitutionnel, lequel se contente, dans sa décision commentée, de rejeter le recours compte tenu du fait que demeure présent la possibilité d’un recours contre le décret ayant présumé l’existence d’une RIIPM.
Peu importe donc, à bien lire le Conseil, que l’examen qui sera effectué par le juge ne soit pas concret pour un sou tant que le recours, dans son principe, est assuré.
Ce qui, assurément, pose de sérieuses et légitimes questions puisque, précisément, au jour du recours contre le décret, le projet qui bénéficiera de cette présomption n’est pas encore connu !
👮♂️Comment donc s’assurer qu’un projet – par principe ni défini ni précisé dans ses grandes lignes – puisse remplir les caractéristiques minimales pour bénéficier d’une RIIPM ?
Nul doute qu’une telle décision ne va pas dans le sens d’une préservation accrue des espèces protégées mais vise uniquement une mise en œuvre moins ardue des projets d’intérêt nationaux – et peut être demain des projets d’aménagement locaux❔.
Le cabinet IB avocats, spécialisé en droit de l’urbanisme et de l’environnement, est à votre disposition pour vous assister et vous représenter dans le cadre de la préservation de votre environnement.